Le conte de Noël en version complète

Mardi 16 Décembre, deuxième cure de chimiothérapie, avec l’espoir chevillé au corps : espoir d'une meilleure tolérance et de moins d'effets secondaires et espoir d'une rémission puisque j'en suis désormais à la moitié du protocole initial. Les contes de Noël sont aussi porteurs d'espoir; en voici un de mon cru, ,Kingcat et Polo.

L'animal qui répondrait très vite au nom de Kingcat s'invita dans la vie et l'appartement de Polo, trois jours après qu'il eut appris qu'il souffrait d'un cancer, juste au moment, où pour se changer les idées, il révisait des parties d'échecs à l'aide d'un bouquin réservé aux passionnés, décidés à faire des progrès. Par quel prodige d’acrobate surdoué ce chat était il parvenu sur le balcon du T3 de Polo, au quatrième étage de la résidence? Mystère et boule de gomme ! Puis il avait toqué de la patte sur la baie vitrée en miaulant comme si sa vie en dépendait. Polo, déjà surpris, le fut d'avantage encore lorsque le chat pénétra dans le salon et courut immédiatement se poster dans une pose aristocratique sur la table basse de l'échiquier. Ce chat était magnifique ; d'une taille moyenne, il arborait une robe noire avec des reflets bleus, reflets qui ondoyaient sous la lumière, un peu à la façon de la moire, ce tissu dont on fait les revers des smokings. Bleu-noir, donc, sauf le ventre d'un gris soyeux - gris souris? - comme s'il avait un plastron parfaitement dessiné. Polo revint donc à sa table de jeu et, tout en observant l'animal, il se remit dans sa partie et ne tarda pas à remarquer que le chat, par des hochements de tête, des mimiques, des retroussements de babines, des plissements d'yeux (il vaudrait mieux parler d'émeraudes) semblait lui dire « Tss-tss, tu te trompes » ou bien « Ça, c'est un beau coup ». De plus en plus subjugué, Polo oublia le bouquin et se mit à jouer sous les directives du chat ; il allait faire de rapides progrès avec un tel coach ! Bougre d'animal : cascadeur aristo, il savait jouer au jeu des rois et roi des jeux. Mais ce n'est pas pour cette raison qu'il l’appellerait Kingcat.

Pour remercier son partenaire, Polo sortit au supermarché du coin, avec le chat juché sur ses épaules qui lui faisait ainsi un col de fourrure vivant, bien utile par ce mois d'Octobre froid et pluvieux annonçant un hiver rigoureux. Par dérision, Polo acheta non seulement une boite de pâtée au poisson mais aussi une autre de crabe royal, le plus cher, celui d'Alaska, le King Crab, en se disant que son crabe, à lui, n'avait rien de royal !!! De retour à la maison , le chat manifesta une fois de plus son tempérament unique en avalant d'abord la pâtée au poisson puis en dégustant lentement le complément au crabe. Puis il rejoignit Polo dans son fauteuil, s'allongea sur ses genoux et se laissa caresser avec force ronrons pendant une bonne dizaine de minutes. A l'issue de cet intermède calinou, il se dirigea avec élégance vers la porte de l'appartement et fit comprendre à celui qui se prenait déjà (à tort) pour son maître, qu'il était temps de se séparer. Mais ce n'est pas parce que ce chat hors du commun aimait le King Crab, que Polo l'appellerait, dès le lendemain, Kingcat.......

Le lendemain, le chat bleu apparut sur le balcon de Polo au moment où celui ci classait ses CD en écoutant un concert de BB King sur You Tube. Après s’être frotté aux jambes de Polo, le chat se mit à s'étirer, à s'allonger sur le dos, à ronronner, bref à manifester son contentement. Ce chat, coach inhabituel aux échecs aimait-il aussi la musique ? Pour faire un test, Polo lui en passa différents styles : classique, jazz, rock et même, horreur, de la variétoche française. Eh bien, il n'y manifestait aucun intérêt, se mettait en rond, mimant un sommeil profond. Seul le blues, qu'il soit roots, électrifié, classique ou moderne, seul le blues, donc, semblait le ravir. In petto, Polo déclara à voix haute : « Eh bien c'est comme çà que je vais t’appeler, Kingcat,en hommage à BB King. »

Puis une sorte de routine s'instaura dans leurs relations : le chat débarquait sur le balcon en début d'après midi, coachait Polo aux échecs pendant une heure, dégustait sa pâtée améliorée au crabe, puis venait se faire caresser sur le fauteuil, pendant qu'ils écoutaient du blues. Avec le temps, Polo parviendrait à composer une compil comportant les morceaux préférés de Kingcat. Parfois cette routine était modifiée par les courses au Carrouf du coin, le chat toujours juché sur les épaules d'un Polo ravi et fier de présenter son partenaire. Bien sûr personne ne croyait ce qu'il racontait : un tel prodige de chat ne pouvait exister que dans l'imagination débridée d'un malade qui cherchait un exutoire à sa condition!!! Cependant, l'état de santé de Polo s'améliorait rapidement, beaucoup plus rapidement que prévu dans le protocole médical. Cela tenait du miracle et Polo se sentait de mieux en mieux sauf que …. le chat, lui, semblait dépérir : le poil soyeux de son ventre devint terne, d'un gris sale et le reste de son costume devint d'un bleu banal, froid. Polo analysait cette situation comme suit : non seulement Kingcat dégustait son King Crab mais aussi, à coups de soumission aux caresses, absorbait lentement un autre crabe, redoutable celui là ; un transfert thérapeutique s'était opéré et les spécialistes qui suivaient Polo ne se résoudraient jamais à le croire. Cherchant désespérément une solution, Polo offrit au chat, d'un seul coup, deux boites de crabe d'Alaska, en guise de réveillon, le soir du 24 décembre. A l'issue de cette dégustation, Kingcat se dirigea de sa démarche chaloupée vers la porte de l'appartement, regarda longuement Polo à qui on avait annoncé le matin même la rémission complète de sa maladie... Même les miracles ont une contrepartie, et le jour de Noël, Kingcat ne se présenta pas au balcon de Polo, ni les jours suivants d'ailleurs. Il en prit son parti et ce d'autant plus qu'un gamin de douze ans, rencontré au supermarché avait, lui, cru à son histoire, adorait les échecs (mais pas le blues, personne n'est parfait!) et qu'ensemble ils allaient écumer les compétitions régionales du jeu des rois. Pour autant, Polo n'oublierait jamais son « blue cat », acrobate de balcons jugés inaccessibles, coach improbable aux échecs et amateur de blues.......

Le 25 décembre au matin, une petite fille de huit ans, atteinte d'une leucémie qu'on disait foudroyante, trouva, au milieu de ses cadeaux, un magnifique chat bleu au ventre gris, qui se mit immédiatement à jouer avec la gamine. Les parents ne comprenaient pas comment l'animal avait bien pu se retrouver là mais laissèrent faire, tellement elle semblait heureuse. Et ils ne tardèrent pas à comprendre que c'était là le plus beau Noël de la famille …...